jeudi 18 juin 2020

Une famille avec mémoire

Je suis née le 12 Avril 1972, à Chevreuse dans les Yvelines. Je suis arrivée six ans et demi après mon frère. Mes parents étaient tous deux fonctionnaires de La Poste. Pour mes premières années, j'ai grandi dans le nouvel ensemble de l'Abbaye à Gif-sur-Yvette. Nous sommes arrivés dans les premiers pour vivre dans ce nouveau quartier. Je me souviens du goudron, des peupliers, de la statue de pierre d'une femme nue sur la petite ile du parc du centre ville. Je me souviens de promenades pour aller rejoindre une parcelle de jardin que nous cultivions, lorsque nous croisions le chantier d'une maison hors normes sur pilotis. Je me souviens des coquelicots. Je me souviens de la ligne du train qui passait derrière notre immeuble, je me souviens de la vue de la chambre sur le chemin qui menait à mon école. Nous sommes restés à Gif sur Yvette jusqu'en 1978... puis nous avons passé une année à Évry, et enfin nous sommes arrivés en Savoie.

Mon père est issu d'une famille de Savoie, j'ai connu ma grand-mère, femme au foyer, mais je n'ai pas connu mon grand-père, mort à quelques mois de ma naissance, qui travaillait à l'usine de carton. Dans cette famille, il n'y pas de manifestation apparente de tendresse. Dans cette famille il est important d'avoir des biens matériels, d'avoir de quoi survivre. Les frères et soeurs de mon père ont voulu réussir, ils sont tous rentrés à La Poste, sauf une qui s'est mariée. Ils ont tous voulu échapper à leur condition un peu rurale. Ils ont tous travaillé pour obtenir un lieu de vie à eux et fonder une famille. L'ascension sociale prévue par l'administration française.

Ma mère est issue d'une famille du Lot et Garonne, j'ai connu mes deux grands-parents, ma grand-mère, femme au foyer, et mon grand-père ancien gendarme puis conseiller-assureur à son compte. Dans cette famille, l'on a aussi des principes, simples, soumis à l'autorité verticale. Mon grand-père n'était pas fidèle mais cela était sous silence. L'on ne communique pas trop dans cette famille, on n'exprime pas trop de tendresse non plus.

Dans ces deux familles, on se réunit à table. La nourriture joue un rôle important dans les deux cas mais pour deux raisons différentes et une forme de respect pour des choses traditionnelles est active.
Les identités féminines et masculines ont des rôles très précis, les anciens et les jeunes aussi. Ce sont des familles. Chez mon père on est plus pauvre à la base et on se débrouille. Chez ma mère on a un accès plus facile à la vie sociale et des principes et discussions plus éclairés.

jeudi 11 juin 2020

La mémoire de ma génération

Je suis une mémoire. Je connais la France depuis 48 ans. J'ai en moi un modèle de vie à la fois particulier et partagé par de nombreuses personnes de mon âge. Mes parents nous ont élevés mon frère et moi sans divorcer, ils ont travaillé à La Poste en gravissant des échelons, ils ont acheté une maison très modeste assez tardivement. Ils sont restés prudents et ils ont fait de leur mieux. Mon frère et moi avons pu faire des études, et nos parents nous ont accompagnés comme ils ont pu, à la vue de nos particularités respectives. Nous avons d'abord vécu en région parisienne puis nous nous sommes rendus en Savoie, plus proche de la famille paternelle. La France a permis à mon père de devenir plus important en grade dans sa fonction; nous avons pu nous soigner, nous loger, aller à l'école, partir parfois en vacances dans la famille. Nous avons vécu, nous avons consommé, participé, contribué.

J'ai connu le nuage de Tchernobyl, l'accident de Fukushima, des attentats, à la rédaction de Charlie Hebdo, dans les cafés parisiens et au Bataclan, la guerre du Golfe, la destruction des tours jumelles de New-York. J'ai connu le Franc puis l'Euro. J'ai connu le téléphone fixe à 8 chiffres. J'ai connu le poste de télévision à trois chaînes.

J'ai regardé la plupart des émissions de télévision depuis mon plus jeune âge. Des émissions jeunesse aux clips vidéos, des émissions de variétés hebdomadaires aux débats politiques. J'ai des réflexes, des repères. Je connais les acteurs, les musiciens, les écrivains, les scientifiques, les influenceurs de tous bord, les publicitaires, les hommes d'affaires, les politiques, ... Je connais les humoristes, les chansonniers, et les critiques d'art, les galeristes et les collectionneurs.
Je vis dans un monde d'idées. Je les ai traversées sans m'en rendre compte. Maintenant je commence à les décrypter. J'en mesure les conséquences sur mes choix de vie. J'ai consommé, j'ai copié, je me suis laissée tenter.

Je suis une mémoire comme une autre. Une mémoire de ma génération.
Lorsque je disparaitrais, il y aura encore moins de personne qui pourront en dire autant. Je garde en mémoire la présence et les paroles de mes grands-parents, de mes parents, et quand je ne serai plus, c'est aussi cette mémoire qui s'en ira. La mémoire de ces instants, de ces constructions, la mémoire des personnes ne fait que s'éteindre. Minute après minute. Le présent est le passé.

Le fil

 Pourquoi je respire, pourquoi j'étouffe?  L'air des autres est contaminé. Les gouttelettes retombent par terre mais les respiration...